Le café des roses

 

Création au Proscenium (reprise au Théâtre d’Edgar) 2003-2004, mise en scène de Marc Golberg, avec Carine Lacroix et Sébastien Roch

Un vieux bistrot à l’abandon abrite les histoires de Elle et Lui, seuls habitants d’un village déserté. Pour tromper leur solitude, ils incarnent successivement différents personnages et animent ainsi le café d’une clientèle imaginaire. 

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« Fille spirituelle de Richard Brautigan, Carine Lacroix écrit une comédie légère, mais pleine de sens qui met joliment en lumière l’étouffement, la peur de soi, des autres, de la vie, de l’amour. Un charme étrange et entêtant. » Myriem Hajoui – A nous Paris

« Aérien et amusant avec quelques vrais bonheurs d’expression. » Hervé de Saint Hilaire – Le Figaro

« Tendre et cruelle. Fraîche et mature. Poétique et amusante. Telle est l’écriture de Carine Lacroix. » Loïck Hello – Théâtral

« A travers ce texte plein de poésie, Carine Lacroix donne une belle ode aux jeunes amours. » Lise de Rocquigny – Pariscope

« Une encre surréaliste. » Agnés Dalbard – Le Parisien

 

Extrait – Monologue de Baïla

Il y en a qui trouve ça triste d’être seul, moi j’aime bien. Je m’en fiche d’être seule. Je me rappelle des poèmes, des p’tits bouts, histoire de ne pas perdre la mémoire. Parfois des hommes viennent s’asseoir. Ils veulent m’offrir un verre. J’accepte. A chaque fois je finis dans leur lit. J’aime les hommes. Les inconnus qui s’approchent, pleins d’idées derrière la tête, des petites idées chaudes, floues, inattendues, brutales, passagères. Ils ont tous quelque chose de particulier, tous. J’aime ce moment où ils m’entraînent chez eux, chez eux ou ailleurs, ça m’est égal, ce moment où la porte se ferme. Le goût des lèvres qu’on ne connaît pas encore, les positions, la durée, la chaleur, les parfums sous la peau… comment ça va être ? Comment on va se déshabiller ? Est-ce qu’il va toucher mes seins tout de suite ? J’adore qu’on me touche les seins. J’ai jamais connu d’hommes qui ne sachent pas toucher les seins, jamais connu d’hommes qui ne sachent pas vous aimer, même pour un soir. C’est magique, cette envie de s’appartenir, anonyme, enflammée ou retenue, c’est même touchant. Du moins la première fois. J’aime pas les secondes, en général j’évite. Pas très romantique ! Je préfère une longue nuit. Enfin parfois c’est pas très long, des mecs super excités qui n’ont pas fait l’amour depuis deux ans, qui tirent leur coup. Pathétique, même pas le temps de rêver. Ou ceux qui s’ébattent pendant des heures pour vous faire jouir, on connaît par cœur les fissures du plafond. Mais qu’est-ce que ça change ? Ils ont quand même les mains qui tremblent et l’envie de tout donner. Puis c’est pas la jouissance qui m’attire, c’est eux. Je collectionne les p’tits papiers, ceux du lendemain matin, avec le p’tit nom et le numéro. Chaque soir je change de prénom, ce soir si on m’accoste, je m’appellerais Baïla. Je ne fais ça qu’à la tombée de la nuit. Les visages et les désirs, on peut s’attendre à tout.

Il y aura lui et puis les autres. Chaque soir d’une rencontre, je recueille un geste, un mot qui lui aurait appartenu, je le reconstruis. Il a toutes les formes, tous les visages. Le matin je vais le retrouver et je lui raconte. C’est beau les matins aussi, c’est doux, frais, on est bien. Il habite entre deux tombes, la sienne est sans fleurs, on ne les aime pas. Dans la terre, j’enfonce le p’tit papier et je lui récite : « sa façon de me regarder en faisant l’amour te ressemblait, les yeux étaient moins clairs, moins pénétrants… » ou bien « il a caressé mon épaule avec sa joue » ou « ses cuisses étaient douces… » Toujours je lui dis ce qui m’a manqué, c’est long. « Jamais on ne me serre assez fort, aucun ne me sauve la vie, c’est qu’une addition… ta peau ? non… je ne l’ai pas encore retrouvée. » C’est ça, j’ai peur de perdre son odeur. Tous les t-shirts que j’ai gardés sentent la poussière, trop sentis, usés, portés, touchés, griffés. Jamais oublier, toujours retenir. Maintenant je respire la terre.