Le torticolis de la girafe

Création au Théâtre du Rond Point – 2012, mise en scène Justine Heynemann, avec Grégoire Baujat, Mounir Margoum, Marie-Eve Perron, Alexie Ribes

La pièce a été lue en 2010 à la Maison des Métallos avec Raphaèle Bouchard, Sara Forestier, Olivier Martinaud, Nicolas Senty

Le torticolis de la girafe est une contorsion amoureuse avec huit personnages, Pépita + Rodrigo, Queen + King, Gabriel-Gabriel + Domi-Do, Piou + Zed et une quinzaine de scènes courtes

(Extrait)

Queen + King
Le banc qui boite.

King, les yeux romantiques – Je suis en train de tomber amoureux.
Queen – De qui ?
King – Tu plaisantes ?
Queen – J’ai l’air ?
King – Je te dis que je suis en train de tomber amoureux, là, devant toi.
Queen – Tu dis pas de qui.
King – Tu continues ?
Queen – De quoi ?
King – Laisse tomber si t’as qu’un neurone ça va pas le faire.
Queen – J’ai pas compris !
King – Je disais que j’étais en train de tomber amoureux, de toi donc, mais en fait a y est c’est fini.
Queen– Tant mieux c’était pas réciproque.
King – Comme ça c’est clair.
Queen – Je déteste cette phrase « je suis en train de tomber amoureux », elle est louche. Elle se la joue romantique, mais sans imagination. C’est la phrase des mecs qui se mouillent pas, tu vois, qu’ont pas confiance, la phrase des losers et moi, je veux un winner.
King – Tu mériterais mon poing dans ta face.
Queen – Qu’est-ce t’attends ?
King – Si dans tes yeux je suis un loser je m’en fiche pas mal. Les filles comme toi je les connais par cœur, elles cherchent des winners parce qu’elles sont coincées, boulonnées, vissées. Elles se donnent des airs, mais une fois allongées c’est la panique, frigides et sans initiative, il faut tout faire, merci. J’me tire.
Queen – Oh, ça va, tu dramatises vachement ! (Temps.) Je m’appelle Queen, j’aime qu’on me frappe.
King – Je m’appelle King.
Queen – King comment ? (Pas de réponse.) T’es heureux toi ?
King – Non.
Queen – Moi non plus.
King – Je supporte pas le bonheur, ni le mien, ni celui des autres.
Queen – Je comprends pas pourquoi tout le monde court après.
King – Le bonheur est une infection contemporaine.
Queen – Je mange pas de ce pain-là.
King – C’est quoi ton pain ?
Queen– Rien. Je préfère rien au bonheur.
Ils se regardent, vont pour s’embrasser.
Queen – Vaut mieux pas.
King – On risquerait d’être bien après.
Queen – Et de vouloir être encore mieux.
King – Et encore plus.
Queen– Ça commence par la langue, ça finit par la garde partagée.
Temps.
King – T’en veux ?
Queen – Quoi ?
King – Des enfants.
Queen – Non.
King – Moi non plus. (Temps.) On peut s’embrasser alors ?
Queen – Mmm…
King – Quoi ?
Queen – Je me méfie. On échange des informations avec la salive.
King – Genre ?
Queen – Germes, bactéries, parasites, acides, progestérone, une espèce d’identité liquide. C’est très intime comme échange.
King – Pour ça qu’avec le temps beaucoup ne s’embrassent plus.
Queen – La langue c’est comme le sexe, mais en plus musclée.
King – T’as raison vaut mieux pas s’embrasser.
Queen – Tu te débines, t’as peur de mes glandes ?
King – Non, c’est toi qui veux pas, t’as raison.
Queen – J’ai pas dit que je voulais pas, j’ai dit que je me méfiais ! (Temps.) On essaye et on voit ce qui se passe.
King – Mmm…
Queen – T’as pas l’air convaincu.
King – Je me méfie.
Queen – De quoi ?
King – De mon identité liquide.
Queen – T’as des choses à cacher ?
King – Ça se pourrait.
Queen – Ah ouais ?
King – Mmm…
Queen – Raconte !
King – Plus tard, baby, plus tard.
Queen – Quand ?
King – Quand je le déciderais.
Queen – Tu m’as appelé baby.
King – Ça te plait ?
Queen – J’adore !
King, après un léger temps – Ok, on essaye et on voit ce qui se passe.
Queen – D’accord !
Queen se prépare à embrasser King, entrouvrant sensuellement la bouche, sortant légèrement sa langue.
King – Demain ça te va ?
Queen – Hein ?!
King – Même heure, même endroit. A prendre ou à laisser. Je m’appelle King, no comment.

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